Fernand Pouillon (1912-1986)

Bien que né le 14 mai 1912 à Cancon, dans le Lot-et-Garonne, Fernand Pouillon grandit à Marseille où il fréquente l’Ecole des Beaux-Arts, avant de partir à Paris pour étudier l’architecture de 1932 à 1934. A 22 ans seulement, il réalise à Aix-en-Provence sa première œuvre. Mais c’est la reconstruction du Vieux Port à Marseille, dont les immeubles avaient été détruits par les Nazis, qui lui donne en 1948 une reconnaissance nationale. Il côtoie à Marseille de nombreux travailleurs immigrés algériens, venus chercher un emploi dans ce grand port français.

Tout au long de ses études et dès le début de sa carrière, Fernand Pouillon manifeste une profonde conviction en faveur d’une architecture populaire. Son désir le plus cher est de pouvoir offrir au plus grand nombre des logements de qualité, au prix le plus bas. La France est en pleine reconstruction après les destructions infligées par la Seconde Guerre mondiale, et Fernand Pouillon œuvre pour participer à cet effort de reconstruction. Ses convictions sont mises à l’épreuve avec l’obtention d’un contrat pour la réalisation de logements sociaux. Il avait en effet assuré pouvoir construire 200 appartements en 200 jours avec un budget de 200 millions de francs. Son pari gagné, il se fait autant d’amis que d’ennemis politiques.

L’Algérie l’engage en 1953 pour réitérer sa prouesse : il lui faut construire 1600 logements urbains en 365 jours, tout en respectant l’architecture locale. Une nouvelle fois, le projet connaît un franc succès et l’entraîne en Iran.

Fernand Pouillon rentre en France pour collaborer au sein du célèbre cabinet d’architecture d’Auguste Perret. En 1961, se joignant à l’élan national, il est chargé de construire des cités HLM (Habitation à Loyer Modéré) en banlieue parisienne. Souhaitant réaliser un projet fidèle à ses convictions intimes, il décide d’exercer à la fois le rôle de promoteur et d’architecte. Mais la législation de l’époque interdit à un architecte d’être également maître d’œuvre. Ses ennemis parisiens utilisent contre lui ces arguments et il est jeté en prison.

Après 18 mois d’incarcération, déterminé à s’enfuir, Pouillon fait une grève de la faim et simule la maladie. Il est donc transféré dans une unité de soins où la surveillance est assouplie et où il peut recevoir la visite de son frère. Celui-ci introduit clandestinement une corde que Pouillon passe autour du torse, sous sa chemise. La nuit tombée, il enjambe la fenêtre du troisième étage et descend le long de la corde. Grâce au Réseau Sorbonne, groupe français militant en faveur de  l’indépendance de l’Algérie, Fernand Pouillon s’enfuit à Fiesole, en Italie, puis en Afrique du Nord. Le Réseau Sorbonne l’aide à constituer l’important dossier devant prouver son innocence. En 1963, il  rentre en France pour assurer lui-même sa défense au cours d’un retentissant procès. Le tribunal l’acquitte pour les abus de biens sociaux dont il était accusé, mais le condamne à une courte peine pour évasion. Durant ces  années de prison, il s’exerce à l’écriture et rédige un roman, « Les Pierres sauvages », qui reçoit le Prix des Deux-Magots en 1964. Le roman est une fiction qui relate la construction, au Moyen Âge, de l’abbaye du Thoronet par Bernard de Clairvaux.

Légitimement déçu par la France, Pouillon décide, à sa sortie de prison, de rejoindre son ami Jacques Chevallier en Algérie, où il se consacre à aider ce pays, tout juste indépendant, à développer hôtels, complexes touristiques, bâtiments administratifs, bureaux de poste et universités. Il termine également la rédaction de ses mémoires, publiées  en 1968 sous le titre de « Mémoires d’un architecte ». Ces deux livres sont toujours réédités.

Bien qu’amnistié en 1971 par Georges Pompidou, Fernand Pouillon continue à travailler en Algérie et ouvre à Paris une maison d’édition de livres d’art, « Le Jardin de Flore », qui lui permet la réédition et la vente de livres anciens à des prix abordables pour tous.

Il retourne en France en 1972 et recherche un monument historique à restaurer, dont il ferait sa villégiature. Après avoir découvert le Château de Belcastel, il en achète les ruines en 1974 et engage une dizaine d’ouvriers algériens qui vont l’aider à mener à bien cette entreprise.

Fernand Pouillon avec sa fille Catherine

Fernand Pouillon avec sa fille Catherine

Durant les huit années passées à cette restauration, il poursuit son labeur acharné en Algérie et en France. Parallèlement aux nombreux hôtels, villas, spas, ports et universités réalisés en Algérie, il construit aussi un monastère en Provence pour abriter les religieuses rapatriées d’Algérie (1976), un centre du Ministère de la Culture près de Versailles (1984) et la subdivision administrative du Conservatoire de Musique de Paris (1985). Il aide aussi à la restauration de la maison du Colombier à Belcastel en 1979.

François Mitterrand lui remet la Légion d’Honneur en 1985 en remerciement de sa contribution à l’architecture nationale. Il reçoit à titre posthume une récompense pour l’ensemble de l’œuvre accomplie en Algérie de 1964 à 1984.

Fidèle à son éthique égalitaire, Fernand Pouillon avait demandé à être enterré de façon anonyme dans le petit cimetière de Belcastel. On respecta sa volonté. Il s’est éteint le 24 juillet 1986 au Château de Belcastel et a rejoint ces générations de maîtres d’œuvre dont les tombes taisent le nom à jamais.

Restauration du Château et Village

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En 1973, le célèbre architecte Fernand Pouillon (1912 – 1986) découvrit Belcastel et tomba amoureux de la ruine depuis si longtemps désertée. Tout au long de sa brillante carrière, Fernand Pouillon avait poursuivi sa quête d’un bien historique hors du commun dont il ferait la demeure de ses rêves. Lorsqu’il fut face à Belcastel, il sut instantanément que c’était là ce qu’il recherchait. Fernand Pouillon se porta acquéreur du château en 1974 pour 150 000 francs (nouveaux), soit aujourd’hui un peu plus de 20 000 Euros. La rumeur courut dans le village qu’il avait réglé la totalité de la somme en lingots d’or… La restauration nécessita huit années de labeur, de 1974 à 1982. L’inauguration officielle eut lieu le 6 juillet 1984.

LES MATÉRIAUX

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Fernand Pouillon trouva les pierres nécessaires à la reconstruction, le schiste en particulier, dans une carrière qu’il fit ouvrir dans la colline, à proximité immédiate du château. Pour la maçonnerie décorative, il utilisa le calcaire et le grès rouge de Marcillac. Il choisit le bois de châtaignier pour les planchers. Bien que décidé à n’utiliser que des éléments originaux, il prit le parti d’intégrer des matériaux modernes, répondant ainsi à des exigences de style et de commodité. Ainsi, les 450 marches que compte le château, dont le grand escalier central, furent recréées en béton. Fernand Pouillon ajouta par ailleurs de larges vitres destinées à préserver des intempéries les salles et certaines des ruines d’origine.

LA RESTAURATION

Après l’acquisition des ruines, Fernand Pouillon s’attela à la rude tâche de rendre au château de Belcastel sa gloire d’antan. Il s’assura le concours d’une dizaine d’ouvriers algériens avec lesquels il avait autrefois travaillé en Algérie. Il paya sur ses propres deniers salaires et travaux.

Afin de se faire une idée précise du château avant son déclin, Fernand Pouillon étudia avec le plus grand soin ce qui subsistait de la structure, et la compara avec les différents châteaux de la même époque. Il comprit qu’il lui fallait décider de la forme architecturale qu’il entendait donner à l’édifice : celle de la première forteresse du XIe siècle ou celle de l’élégant château du XVe siècle. Il pouvait aussi opter pour une « réinvention », mêlant éléments anciens et ultramodernes, comme le voulait la mode des années 1970. Mais Fernand Pouillon changea radicalement d’idée lorsqu’il mena des recherches plus poussées sur l’histoire de la bâtisse. A la bibliothèque de Rodez, en effet, il découvrit un ouvrage présentant des gravures de l’intérieur du château avant qu’il ne tombe en ruine, et qui lui fournirent de précieuses indications quant à la disposition exacte de nombreuses pièces. Fasciné par l’architecture médiévale, il résolut d’intégrer aux matériaux modernes des détails inspirés des XIe et XVe siècles.

Lorsque Fernand Pouillon entreprit la restauration, le château n’était que décombres. De grands chênes émergeaient du donjon ou poussaient dans les ruines de certaines salles. Les larges baies d’autrefois n’étaient plus que de vastes trous béants dans des murs qui s’écroulaient. Selon Vera, son épouse, le plus grand défi de Fernand Pouillon fut de maintenir debout les murs encore subsistants. Il y parvint en conservant le lierre qui les avait envahis mais dont le feuillage assurait le maintien.

Fernand Pouillon et son équipe de maçons et de maîtres verriers décidèrent de n’utiliser pour la restauration que des techniques anciennes de construction médiévale. Dédaignant grues et équipements modernes, bravant l’à-pic de 40 mètres de la face nord, l’architecte et ses courageux ouvriers mirent en place à la main les énormes poutres, voûtes et cheminées, reconstruisant le château pierre après pierre, fenêtre après fenêtre.

Fernand Pouillon rendit à de nombreuses parties du château leur aspect original : les douves, le pont-levis, l’entrée intérieure furent ainsi recréés avec le plus grand soin et revirent le jour. Il fallut un peu plus de huit ans à Fernand Pouillon et à son équipe pour ressusciter un tas de pierres en un majestueux château, à la double vocation de demeure à vivre et témoignage du passé.

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Le Château de Belcastel est resté la résidence privée de Fernand Pouillon jusqu'à sa mort à Belcastel le 24 juillet 1986. En 2005, deux Américains de New York ont acheté le Château et l'ont ouvert au public en tant que galerie et monument historique. Depuis lors, ils ont embelli l'intérieur avec des objets médiévaux et ont créé des galeries d'art au sein du Château, tout en permettant à la forteresse médiévale et à l'architecture remarquable de rester intacte. 

L'intention de la propriétaire Heidi Leigh de promouvoir l'art et la culture a été réalisée au fil des ans dans ce lieu unique par des expositions d'art et de sculpture, des concerts et des masterclasses. En 2017, avec la famille et les amis du célèbre architecte Fernand Pouillon, elle a contribué à créer l'Association du Patrimoine de Fernand Pouillon dans le but de maintenir son héritage vivant à travers des projets créatifs qui célèbrent la relation entre l'art et l'architecture. La même année, elle a été honorée par le Ministère français de la Culture avec le titre de Chevalier des Arts et des Lettres.

LE VILLAGE DE BELCASTEL

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Après avoir rendu au Château toute sa gloire d’antan, Fernand Pouillon a décidé d’aider les villageois à rénover le village de Belcastel également, pour que le village puisse refléter l’élégance récemment récupérée du Château. Plusieurs des maisons du village étaient en ruines, avec des toits effondrés et des murs délabrés.

L’architecte acclamé a travaillé avec le maire de Belcastel pour réaliser ce projet ambitieux, se concentrant sur six maisons particulièrement négligées qui sont toujours debout aujourd’hui en plein coeur du village de Belcastel. La majorité de ces maisons étant dans un  état de ruine bien pire encore que celui du Château, l’expérience de Fernand Pouillon dans la reconstruction de villages, acquise pendant son emploi en tant qu’architecte reconstructeur pour le gouvernement français après la Seconde Guerre mondiale, était indispensable.

Pouillon a travaillé en collaboration avec les habitants du village pour faire revivre le village de Belcastel tout comme il avait auparavant redonné vie au château, et il était chaleureusement accueilli. Il a conçu des plans architecturaux pour communiquer son idée d’un nouveau Belcastel, tout en restant fidèle au style et à la forme originels du village. La rénovation faite par Fernand Pouillon a donné aux habitants de Belcastel un reguin de fierté envers leur village, et a créé une harmonie architecturale sensible entre le village et le Château qui le surplombe.

Malheureusement, Pouillon est mort avant que la restauration du village ne soit terminée, mais les architectes et les bâtisseurs qui perpétuaient son héritage à Belcastel se servaient des idées et des plans développés par Fernand Pouillon lui-même. Le programme de rénovation continuait avec le Roc d’Anglars, un ancien fort du cinquième siècle qui se trouve en périphérie du village et qui a été restauré en 1988, deux ans après la mort de l'architecte.

De nos jours, Belcastel est un village aussi vivant que charmant, renommé pour son charme authentique et qui accueille des marchés nocturnes en été ainsi qu’une fête annuelle avec des feux d’artifices tirés au-dessus du Château. Le village compte environ 30 résidents permanents et 250 de plus qui habitent les environs. Grâce à la vaste restauration de Fernand Pouillon, Belcastel est connu aujourd’hui en tant que village historique et destination touristique très appréciée par les visiteurs de l’Aveyron. Le classement du village comme un des Plus Beaux Villages de France témoigne de l’architecte exceptionnel et de l’énorme travail qui a rendu possible cette classification distinguée.